Une situation conflictuelle


  À une dizaine d'années de la retraite, je me suis retrouvé chef d'une petite équipe. Les deux jeunes qui la composaient ont rapidement formé un petit noyau; et comme ils étaient intelligents et compétents, ils se relayaient pour discuter mes décisions et pousser les leurs.
 Voici ce que j'ai noté (dans un petit carnet qui me tenait lieu de confident) au long de cette relation difficile :




  « Les situations conflictuelles se multiplient. Les tentatives d'explication échouent. L'incompréhension s'installe. Je me sens isolé. Aujourd'hui je macère mes pensées. Je peux me replier et leur en vouloir, ou encore chercher à imposer mes vues. Rien de tout cela n'est bon, je le sens bien. Cela équivaudrait à m'enliser en m'agitant. Il me faut trouver la force de maitriser ce type de réactions, aussi négatives que puériles, et utiliser cette énergie réactionnelle pour contenir des impulsions guidées par l'orgueil et accepter la vérité de l'autre. Ainsi, non seulement je surmonterai l'épreuve mais j'en sortirai renforcé, c'est-à-dire plus stable, plus solide.

 Finalement, c'est un contexte favorable à la macération. À moi de tirer profit de la remise en question qu'elle impose ("
excellente cette macération qui te force de te refaire en ta maison" disait Saint-Exupéry).
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Quelques jours plus tard je notais :

 « Cette nuit j'ai soudain ressenti le besoin impérieux de me gratter la jambe. J'ai cédé à la démangeaison, et cela m'a soulagé. Deux minutes. Machinalement j'ai de nouveau gratté ; mais plus je grattais vigoureusement, plus la période de trêve se réduisait. Tandis que le sommeil me quittait définitivement, un bouton pointu se révélait peu à peu sous mes ongles nerveux.
 Il n'y a que deux alternatives me suis-je dit pendant une accalmie. Soit je gratte cette excroissance jusqu'à l'arracher, soit j'attends que la démangeaison cesse.
 J'ai choisi la patience et la maitrise. Les premières minutes ont été longues puis la lancinante démangeaison s'est apaisée. Tandis que le sommeil me gagnait, j'ai pensé : Dieu, par ce bouton, m'a éclairé sur la conduite à tenir avec mes deux jeunes collègues, rejoignant une autre citation de mon ami St-Ex :
"Un chef doit être capable de se contrôler lui-même avant de prétendre diriger qui que ce soit." »
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Cependant, des années plus tard je notais (les relations devenaient toujours plus difficiles pour moi) :

 « L'étincelle d'amour au fond de moi fait ce qu'elle peut pour préserver ma paix intérieure. Mais cette opposition systématique, sournoise, et souvent blessante la trouble sans cesse.
 Je sens pourtant qu'étouffer ce conflit ne me rendrait pas service. Je serais bien plus fier de moi si je parvenais à faire de cette lueur vacillante un flambeau afin que les ténèbres ne pénètrent pas, et rayonner un peu de cet amour vers l'extérieur.

 Il ne s’agit pas du combat du Bien (moi) contre le Mal (eux), car ils sont, et demeureront des enfants de Dieu.
 Les tourments qu'ils m'infligent éveillent des réactions négatives qui sont en moi (manque de patience, vanité, orgueil...). Alors, dans ce redoutable combat intérieur, je brûle mes propres impuretés, et ce faisant, non seulement je préserve ma flamme, mais je la renforce.

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 Je suis désormais en mesure de les regarder avec bienveillance ; et de retrouver ma paix intérieure. »