Il était une fois... 

un homme 

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l'aube des temps, Dieu créa l'Univers. Les minéraux, les plantes, les animaux. Puis Il créa l'homme.
Dieu voulait en faire son égal, mais réalisa bien vite que ses instincts primaires relevaient davantage de l'animal.

Aussi, Dieu le dota d'une conscience, tout en le laissant libre de faire le bien ou le mal. Car pour être sincère, ce rapprochement sacré ne devait être faussé ni par l'attrait d'un avantage ni par la crainte d'une punition.

 Doté d'une intelligence bien supérieure à celle des autres créatures, l'homme en devint rapidement le maître absolu.
Dès lors, son orgueil naturel, son instinct possessif et jouisseur, étouffèrent sa conscience embryonnaire et le poussèrent à exploiter ses frères, parfois jusqu'à la mort.



 Quand les hommes montaient au Ciel, un Ange particulier les recevait. Il se nommait Sathan - « le juge ». Or ce juge inflexible ne décolérait pas en observant la dérive des hommes sur Terre, et lorsqu'il les accueillait, aucun ne trouvait grâce à ses yeux. Aussi ordonnait-il la destruction de leur âme ou son envoi au purgatoire. Les moins "corrompus" étaient renvoyés aussitôt sur Terre.

 À Dieu qui s’étonnait de ne voir venir à Lui aucune âme, l’Ange exhibait leurs mauvaises actions et expliquait que si l'on voulait voir apparaitre le Bien, il fallait arracher le Mal à la racine.

***


 Un jour un vieil homme jeta à Sathan :

 - Que sais-tu de la vie d’en bas ? Personne ne peut y demeurer sans tache.

 - Que me dis-tu là, misérable ? Il suffit de mener une vie simple et prier Dieu.

 - Fais-le ! le défia l’homme.

 Piqué au vif, Sathan descendit sur Terre.

 Il choisit d'être prêtre. Pour le plus grand malheur de ses contemporains, car son zèle le rendit redoutable. Il offrait aux dieux des sacrifices humains et donnait libre cours à sa soif de perfection en expédiant au bûcher tous ceux dont la foi était douteuse.

 Avant que la Terre ne fût dépeuplée, il mourut assassiné par un Ange qui se sacrifia.



  Au Ciel, Sathan comptait sur les félicitations pour apaiser la grande colère qui le consumait. Mais ne trouvant que réprobation, il se tranchât d'avec le Créateur.
 Entrainant dans son sillage les âmes rebelles, il s'installa dans la partie la plus basse du Ciel, juste au dessus de la Terre.



  Dieu le laissa faire, mais l'épisode l'affecta profondément. En découvrant la haine, Il se demanda : « Comment a-t-elle pu germer au milieu de l'Amour ? »

 Pour la première fois Dieu douta des hommes, et de Son Plan. Pourquoi s’entredéchireraient-ils ? Ne les avait-Il pas dotés d’intelligence et de discernement, pour se nourrir, se vêtir, se défendre des bêtes sauvages ? de bonté pour s'aimer, s'entraider ?
 La Nature qui les abrite et leur fournit soleil et pluie, ne témoigne-t-elle pas de Sa bienveillance à leur égard ?

 Mais en observant leur âme, Il se rendit à l'évidence : « Ils ne voient rien. Les Anges que J'ai placé près d'eux pour les inspirer et les protéger, ils ne sentent pas leur présence. Leur conscience, ils ne l'écoutent pas. La Voie Juste, ils ne la cherchent pas... »

 Alors le Plan ? Cette tendre invitation faite à l'homme de Le rejoindre, se fondre en Lui, emplir avec lui l'Univers d'Amour...?

 « L'esprit ne peut-il donc dépasser la matière ? » se demanda-t-il tristement.

 Afin de pouvoir répondre à cette question essentielle, Dieu voulut descendre Lui-même sur Terre. Mais Il ne pouvait laisser l’Univers sans surveillance, aussi, à contrecœur, Il décida d'y envoyer une âme proche de la sienne.

 - Tu vas aller Me représenter sur Terre, lui dit-Il. Tu enseigneras aux hommes à ne pas s’attacher aux choses, à se détourner du Mal et à agir selon leur conscience. Qu'ils sachent que Je les aime, tous. Et qu'il leur suffit de transmettre ne serait-ce qu'un peu de cet Amour à leur entourage.

 - J’y vais avec enthousiasme, Père.

 - Je dois t’avertir, ils ne t’écouteront pas. Ils se moqueront de toi.

 - Je ne me découragerai jamais.

 - Ils te frapperont. Puis te tueront.

 - Mais alors... à quoi sert que je descende ?

 - Parce qu'il faut réveiller les hommes. Leur montrer l'exemple. Et cela ne peut être réalisé que par un homme, parmi les hommes.

 « Un homme dont la vie et la mort marqueront les esprits pour des siècles,
ajouta-t-il avec une peine infinie pour cette âme si tendre.

« Aucune plainte ni rancœur ne devra sortir de ta bouche durant tes épreuves. Je ne te soutiendrai ni dans ton corps ni par l’esprit. Tes seules forces seront l’amour et la confiance que tu as pour Moi. Vas.




  Sur Terre, la puissance de Rome rogne la planète, telle une lèpre ; brisant, humiliant des peuples entiers. Ivre de ses victoires, César se déclare imperator des nations, puis grand pontife, et exige d'être vénéré à l'égal d'un Dieu.

 L'hégémonie romaine est partout... Désormais ses vices et ses crimes s'étalent au grand jour. Dans les cirques, sous les applaudissements et les rires, des esclaves s'entretuent, des bêtes fauves dévorent vivants les prisonniers et les insoumis.


  C'est en Judée, récemment devenue province romaine, que naît Joshua, au solstice de l’hiver, dans une famille juive. Un peuple à qui Moïse a confié, il y a plus de mille ans, les recommandations d'un Dieu unique et qui, malgré les persécutions, lui voue une foi inébranlable. Une foi incompréhensible, que ni les violences ni les déportations en Babylonie n'a ébranlée.

 En naissant à cette période, en cet endroit du monde et en tant que juif, Joshua a quitté le Paradis pour l'enfer.


  Lorsqu'ils apprennent qu'Hérode Ier, roi de Judée, a ordonné de tuer tous les enfants juifs mâles de moins de deux ans, les parents de Joshua se réfugient précipitamment en Égypte. À la mort d'Hérode, ils reviennent, mais en chemin, avertis que son fils Archélaüs l'a remplacé, ils s'arrêtent en Galilée, à Nazareth.

 Dans ce climat de répression et de peur, l'enfance de Joshua est bercée des victoires de Josué, de David, de Salomon ; des récits de combats contre les Cananéens, les Moabites, les Philistins, les Amalécites...

 Mais en grandissant il réalise que ce peuple, Israël, est profondément divisé, notamment sur l’interprétation de sa loi, la Torah. Son père appartient au courant Essénien qui ne retient que l'esprit de la Loi et non la lettre comme le font les Pharisiens. Il déplore les assassinats de soldats romains perpétrés par les Zélotes mais méprise les Sadducéens qui, avec l'appui de Rome, constituent la classe sacerdotale supérieure, dotée de tous les privilèges.
 Le seul point commun de tous ces courants est l'attente du Messie.
 Le peuple, fidèle à l'idée judaïque, l'imagine en vengeur et justicier. Il chassera le Romain, châtiera tous les coupables et restaurera la gloire d'Israël et le royaume de Dieu sur terre.



  Quand il n'étudie pas à la synagogue, Joshua aide son père à la menuiserie.
 Plusieurs fois il a voulu lui parler de Myriam de Magdala, cette jeune fille avec qui il a de longues conversations et dont la lumière du regard lui rappelle... lui rappelle...?

 - Fils, j'ai terminé cette planche ; pourrais-tu la poser dans ce coin et m'en apporter une autre ?

 - Bien sûr abba.

 Cependant la légèreté des pièces à déplacer surprend Joshua. En observant son père à la dérobée, son cœur se serre.

 « Il est fatigué ! Comment ai-je pu ne pas m'en rendre compte ? se reproche-t-il aussitôt.

  Adossé à un rocher au flanc d'une colline, le jeune homme sourit. Myriam plaira à ses parents. Il imagine sa mère (qui a le même prénom) lui offrir une infusion de baies de Kaldi...

 Mais une ombre vient voiler cette vision : l'amour n'est-il pas en train de le rendre égoïste ?  Son père va mal. Le monde va mal...

 Comme en réponse, une lumière surnaturelle apparait. Une voix profonde en émane, à la fois douce et impérieuse :

 « Il faut arrêter le Mal. Porte au monde Mon message d’amour ! »

 Aussitôt le jeune homme tombe à genoux, la tête dans les mains.

 Cette manifestation céleste le bouleverse mais curieusement, le message ne le surprend pas. Comme s'il avait toujours su... que le destin le rattraperait un jour. Pourtant il bredouille, des sanglots dans la voix :

 « Comment !... Comment dire à ces gens qui tuent pour une pièce de monnaie, qu'ils doivent s'aimer les uns les autres ? »

 Mais lentement la lumière se retire, le laissant, troublé à l'extrême, trouver lui-même des réponses.

  Les jours, les mois passent sans que son malaise ne s'estompe. Était-ce vraiment une injonction céleste, ou une manifestation du Malin pour le perdre ?

 « Dieu confierait-il une telle mission à un fils de charpentier !?

 Pourtant, insensiblement, telle une fleur émergeant d'une eau sombre, la terrible réalité de son inéluctable destin éclot en lui.
 Et lorsque Myriam, les yeux brillants, décrit leur future maison, son sourire à lui est triste, car il pressent qu'il ne partagera jamais ce bonheur avec elle.



  Joshua prie de longues heures tout seul. Il appelle Dieu de toutes ses forces, de tout son être, afin qu'Il daigne l'éclairer.

 Ce soir il est assis au bord du lac de Tibériade. Dérouté par le silence du Ciel, il interroge les vagues qui meurent à ses pieds. Sur ses eaux miroitantes, brille la ville au loin.

Soudain, une montagne émerge du lac ! Joshua se recule si précipitamment qu'il tombe à la renverse et fixe, hagard, le spectacle qui s'offre à lui :

 Sur la montagne, à travers le nuage noir qui l'enveloppe d'ombres de toutes sortes, se dresse une immense croix... et sur cette croix, un homme est cloué ! Il agonise. Malgré la distance et la souffrance qui déforme les traits de son visage, Joshua se reconnait !



 -  Voilà ce qui t'attend si tu t'engages dans cette voie !

 (Seigneur, d'où vient cette voix ?? se demande-t-il en se tournant de toutes parts)

 - Si tu es le messie, sauve-toi !

 Mais voici qu'aux railleries se mêlent les plaintes des oubliés, des désespérés, qui supplient, les mains tendues vers lui :

 - Joshua, ne nous abandonne pas... Aide-nous.

 - Ts, ts! Tourne-toi vers la vie... susurre une voix derrière lui. Songe à Myriam !

 Joshua demeure prostré, écoutant les chuchotements immondes des uns, les suppliques des autres. La tête lui tourne, mais il comprend qu'il doit se décider. S'engager ou pas. Maintenant.

 La nuit qui tombe le voit encore osciller, toujours assis. Lui qui est tout amour, comment pourrait-il supporter la morsure des insultes, les regards haineux, la crucifixion ??

 - Toi qui a trouvé le chemin de l'Amour, guide-nous. Montre-nous une lueur d'espoir.

 Entre tremblements et suées glacées, Joshua balance entre sa terreur du gibet et un profond désir de secourir les hommes. Dans le combat inouï qui l'agite, il penche tour à tour pour la vie, avec Myriam, pour la mort, seul et sous les crachats.


  L'aube brumeuse le trouve enfin serein. En ce matin de début du monde, le cœur de Joshua enveloppe en son manteau la terre entière.
 Il renonce au bonheur terrestre. Il est prêt à affronter la haine des hommes. Oui, il a peur, très peur même ; mais une mère ne donnerait-elle pas sa vie pour sauver ses enfants ? Or il aime ces hommes et ces femmes comme s'ils étaient ses enfants. Leurs défauts, leurs faiblesses ne sont qu'égarements. Il doit les ramener à Dieu.

 Tous, même ceux que la haine domine ; ils sont aussi ses frères. Eux aussi ont peur ; de la faim, de la maladie, de la mort, de l'arbitraire. C'est cela qui les égare. Ils doivent reprendre confiance en la vie.

 Oui, il a vu ce qui l'attendait, mais en toute conscience il décide que l'enjeu dépasse sa petite existence.

 Il est résolu à se sacrifier.



 Une lumière empreinte de joie descend alors en lui. Son être intérieur éclot tel un lotus, décuplant sa vision, sa sensibilité.



  Quelques jours plus tard, alors qu'il médite sur la façon dont il va réorganiser sa vie, Joshua tressaille. Myriam est venue s'asseoir près de lui. Elle sourit et son cœur de jeune homme est bouleversé. « Adoni, soutiens-moi ! prie-il fiévreusement. Je ne crains plus de faillir, mais pour m'en tenir à ma décision il me faut mentir à Myriam !... Elle ne doit pas s'attacher davantage à moi. La voir souffrir serait au dessus de mes forces. »

 - Tu dois me laisser Myriam, marmonne-t-il.

 - Comment ?...

 - Tu dois me laisser. J'ai décidé de me consacrer à Dieu. Il vaut mieux que tu m'oublies.

 - Te consacrer à Dieu ! Quoi, te retirer ? Renoncer à avoir des enfants, un foyer ?...

 - Oui, articule-t-il au comble du supplice.

 La gifle part. Elle lui fait presque du bien.

 - Frappe-moi encore, dit-il tendrement en tendant l'autre joue.

 D'étonnement, les yeux de Myriam s'agrandissent, puis se zèbrent d'éclairs. Elle s'apprête à se jeter sur lui, mais avec un hurlement, se lève soudain. En la voyant s'éloigner, le cœur du jeune homme se fend, puis se déchire en entendant ses cris se muer en gémissements de bête blessée.



  Pour s'étourdir, Joshua s'absorbe désormais entre l'étude de la Torah et la menuiserie. Il prétend avoir trouvé sa voie dans le travail du bois. Cette passion enchante le vieux Yosef et explique la hâte de son fils à tout lui prendre des mains.

 Malgré cela, le jeune homme ne peut l'empêcher de s'affaiblir de jour en jour, ni de se ronger pour Shimeone, l'un de ses frères qui, depuis son engagement auprès des Zélotes, rentre rarement à la maison.

 Or voici qu'une rumeur parle de l'arrestation d'une douzaine d'entre eux. Quand on sait les supplices qui attendent ceux qui osent s'opposer au régime de Rome, il y a de quoi trembler. Du coup, pour Joshua, il n'est pas question d'ajouter aux tourments de son père en lui révélant sa fatale mission. Elle attendra qu'il ait quitté ce monde.



  Comme chaque année, Joshua accompagne ses parents à Jérusalem pour y passer la fête de Pessa'h. Il est toujours surpris de l'agitation qui règne dans cette ville devenue le centre des aspirations juives. De la Pérée, de la Galilée, d'Alexandrie, de Babylone, les Juifs affluent. Pour s'encourager dans leurs longues marches au travers du désert, ils chantent des psaumes de joie.

 Lors des interminables discussions, Joshua apprend qu'Hérode Archélaüs a été destitué, que c'est un préfet romain, Ponce Pilate, qui administre désormais la Judée, et qu'Hérode Antipas, un autre fils d'Hérode-le-Grand, a obtenu d'être l'intendant du Temple de Jérusalem.



  Cette fois pourtant, Joshua n'est pas émerveillé par la pompe qui s'étale dans le temple pour éblouir le pèlerin. Les pratiques ancestrales sont toujours là, mais elle ne font que masquer une piété de façade. Les prières, ostentatoires et criardes, n'ont pas cette vibration d'amour qui le porte aux cieux dans sa petite synagogue de Nazareth.
 Il observe, révulsé, les prêtres dans leurs somptueux habits sacerdotaux. Ils se disent les représentants de Dieu alors qu'au pied de leur temple s'étalent des mendiants pâlis par la faim.


  Le voyage a épuisé son père ; son épouse l'avait prévenu mais rien n'y a fait. Et ce soir, le bon Yosef - comme ses amis l'appellent -, se meurt.
 Les yeux clos il réclame Shimeone, mais personne ne sait où il est. Sa femme, ses autres enfants, les amis et voisins sont là, silencieusement. Chacun caresse ses souvenirs à l'instar des objets au lustre si doux qu'il réalisait et aimait à offrir. Des bougies sont posées ici et là dans la chambre à coucher.

 Dans la nuit, sa respiration devient saccadée, ses joues se creusent. Soudain il se dresse, les yeux brillants.

      - Shimeone !  mon fils...

 Les regards se tournent vers le mur que sa main tremblante désigne. Il n'y a rien, mais chacun comprend qu'il ne faudra plus attendre Shimeone.

 Un dernier hoquet soulève sa poitrine puis ses yeux se voilent ; enfin il s'éteint, un sourire ravi aux lèvres.

 Joshua pleure à la fois son père et son frère quand soudain il réalise avec un frisson, qu'il doit à présent se consacrer à sa mission... et aller jusqu'à son terme, la mort infamante sur le gibet.



  Une semaine ne s'est pas écoulé qu'un soir une dispute oppose ses frères à propos de la menuiserie. Quand son nom est cité en tant qu'aîné, Joshua intervient.

 - Partagez-vous le bien de notre père. Je ne reste pas.

 Au matin, le jeune homme explique à sa mère qu'il va rejoindre les Esséniens.

 - J'ai besoin de comprendre, amma...

 Abrégeant les adieux, n'emportant qu'une gourde et quelques figues, il s'engage dans le désert de Judée.



  Son père aimait voir les Esséniens placer la vie intérieure de l'âme au-dessus de toutes les pratiques extérieures ; contrairement aux Pharisiens qu'il surnommait les « Chercheurs de flatteries ».

 À l'écart du despotisme des maitres de la Palestine, les Esséniens se sont réfugiés dans la retraite et le silence. Le cœur de leur communauté est à Qumrân, au bord de la mer morte, immobile et grise, au pied des montagnes désolées de Moab.

  Paisibles, d'une moralité exemplaire, ils s'attachent à réprimer tout mouvement de colère et toute passion. Ils sont tisserands, charpentiers, vignerons ou jardiniers mais jamais armuriers ni commerçants. Les frères vivent dans la communauté des biens et dans le célibat. Certains pourtant sont mariés et forment un tiers-ordre affilié à l'autre.

 Joshua dû subir un noviciat d'un an, puis attendre encore deux années avant d'être intégré à la confrérie, entrer en rapport avec les maitres de l'ordre.

 Les repas communs auxquels il prend désormais part, se célèbrent dans une grande solennité ; lors de ces agapes fraternelles qui commencent et se terminent par la prière, le vêtement porté est sacré et doit être retiré pour retourner travailler.

 L'initiation comporte trois degrés, mais très peu y parviennent.


  La tradition ésotérique transmise par les Esséniens stupéfie Joshua : cette antique sagesse des initiés n'a rien à voir avec la doctrine juive officielle ! Il est question de résurrection et d'amour du prochain. Ces révélations lui semblent à la fois merveilleuses... et connues, évidentes. Les paroles des prophètes, pourtant cent fois lues, s'éclairent à présent d'une lueur nouvelle.

 Les moines du Qumram baignent les gens afin de les laver symboliquement de leurs péchés. Ils prêchent le rapprochement, la coexistence du judaïsme avec le restant du monde : Moïse n'avait-il pas préparé l'unité religieuse des nations en créant le culte du Dieu unique ?

 Réputés pour leur science de la médecine par les plantes et les minéraux, leur ministère officiel est de guérir.
 Avec eux, Joshua découvre la thérapeutique occulte.

  Il n'adopte cependant pas toutes leurs doctrines. Les Esséniens fuient les villes considérées comme des lieux de perdition, Joshua aspire au contraire à s'y plonger pour rejoindre les malheureux.
 Les Pharisiens croient au libre arbitre, les Esséniens voient la prédestination en toutes choses. Pour Joshua, tous deux ont raison.

 Les années passent, et une nuit, dans le plus profond secret, il reçoit l'initiation supérieure du quatrième degré, celle qui n'est accordée que dans le cas d'une mission prophétique.

 Estimant alors le moment venu d'affronter son destin, Joshua retourne en Galilée.




  À Nazareth il passe quelques jours chez sa mère, puis repart. Dans les villes qu'il traverse, les frères membres de l'ordre des Esséniens lui offrent l'hospitalité.

 Joshua passe ses journées chez les nécessiteux. Sur les malades, il applique son nouveau pouvoir de guérir ; le plus souvent d'ailleurs sa parole suffit à soulager, dès lors qu'avec autorité il déclare que le mal est parti.


  Mais c'est surtout à l'esprit que Joshua s'adresse. Il prêche chaque fois qu'il le peut ; au coin d'une rue, sur une colline, dans les maisons.

 - Attention, DIEU EXISTE ! déclame-t-il sans relâche.
 « La mort, elle, n'existe pas. Alors prenez garde ! Celui qui a fait le bien ira au paradis. Mais gare à l'hypocrite, au médisant, à celui qui fait le mal ! De cette courte vie ici-bas dépend votre vie éternelle.
 - IL FAUT VOUS AIMER ! Vous entraider !

 Il fait peur, mais envoûte aussi. De plus en plus d'hommes et de femmes viennent l'écouter.
Au début par curiosité ou pour les "miracles" qu'il réalise, mais sa vision des choses les ébranlent au plus profond de leur être et ils boivent ses paroles comme à une source. Certains en viennent à quitter leur maison pour le suivre partout.

 Ses prêches sont un moment magique, sa simple présence apaise, réconforte. L'Amour est posé comme loi fondamentale. L'amour de Dieu, mais d'abord du prochain. Avec une conviction saisissante, il martèle que la seule chose qui compte pour Dieu c'est la réconciliation fraternelle, le service quotidien du prochain.

 Chacun cherche son regard, mais Joshua, lui, cherche dans la foule celui de Myriam.



  À Jérusalem, il expose sa doctrine d'amour aux prêtres du temple, leur demande de relativiser la Loi et le système religieux. N'est-ce pas à toute l'espèce humaine que Dieu a adressé ses dix commandements ?
 Mais ils s'écrient au blasphème, sa conception du monde et de la foi sont une vision d'épouvante pour eux.

 - Comment oses-tu parler au nom de Dieu ?

 Troublé et inquiet, le Sanhédrin, le tribunal rabbinique, dépêche des espions dans sa suite pour rapporter ce qu'il prêche.



  Pour guérir, Joshua n'agit pas sur le corps physique du malade mais sur son corps fluidique auquel il applique sa formidable force spirituelle. Il est cependant le premier émerveillé lorsque des aveugles revoient, des boiteux remarchent ou des lépreux retrouvent la santé.
 Bien que cela n'arrive qu'une fois sur dix, c'est à chaque fois l'hystérie.
 Sa réputation de magicien est faite.

 Pourtant, ceux qui, par reconnaissance ou par oui-dire, amplifient ses prodiges, lui rendent le plus mauvais des services.


  À travers la Palestine, au fil des mois, le bruit se répand que Joshua de Nazareth est le mashia'h, le Messie, le Fils de Dieu. Certains prétendent même que c'est Dieu en personne. Aussi, chacun de ses déplacements charrie-t-il toujours plus de monde.

 Ces mouvements populaires commencent à inquiéter l'intendant du Temple, Hérode Antipas...

 Ponce-Pilate perçoit, lui, dans les annonces de "la fin de l'ordre ancien et l'arrivée du Royaume", une menace pour Rome. En tout cas pour le calme dans la Judée, cette poudrière dont il a la charge.

« Ce Juif veut être roi. En tout cas, il peut entrainer un soulèvement. » Affolé à cette idée, il redouble la répression à l'encontre des Juifs.

 Pour les prêtres du Temple, c'est également un dangereux perturbateur de l'ordre établi. Un fauteur de troubles, un redoutable meneur qui corrompt le peuple. Comment ose-t-il guérir et pardonner en son propre nom, touchant ainsi ce qui appartient à Dieu seul ?!
 Ce Joshua de Nazareth n'est autre qu'un illuminé de plus, un prédicateur qui abuse de l'attente fébrile d'Israël en un messie. Il s'annonce d'ailleurs comme "le mashia'h" ! mais Isaïe n'a-t-il pas dit, en prédisant cette venue :
« Ce jour-là, il n’y aura plus ni mal ni destruction, et le loup habitera avec l’agneau... » ?
Est-ce le cas ?!

 Mais Joshua n'est pas dupe. Ce n'est pas pour le peuple que les prêtres s'inquiètent. La religion leur est un instrument de pouvoir.
« Ils se disent et se croient les représentants de Dieu, songe-t-il, mais ils ne sont que trop humains : c'est l'idée de perdre de leurs privilèges qui leur est insupportable. »

  Les Zélotes, la tendance dure d'Israël, se réclament de grands personnages bibliques, justiciers et réformateurs intransigeants. Si leur définition de la foi se rapproche de celle des Pharisiens, ils s'en distinguent par leurs méthodes d'action radicales.

 Lorsqu'il apprend que Yohanân, l'ermite-prophète qui purifiait dans le Jourdain, a été décapité par Hérode, Anouk, le chef de "l'Unité Judéenne", interpelle Joshua :

 - Tu es un descendant du roi David.

 - C'est possible.

 - Tu l'es. Tu peux donc prétendre à la royauté sur Israël. De plus, une prophétie de Michée l'a dit : l'Élu sortira de Bethléem. Tu es né à Bethléem, non ?

 - Qu'attend-tu de moi Anouk ?

 - Prends le pouvoir, Joshua ! Nous te suivrons, jusqu'à la mort. Nous ne devons plus laisser les justes se faire assassiner !

 - Répondre à l'agression par l'agression n'a pour effet que de multiplier le mal. L'épée n'a jamais mis fin au règne de l'épée. Elle ne fait que fournir de nouvelles recrues aux puissances des ténèbres qui n'attendent que cela.

 « Il faut répondre à l'agression par l'amour.

 Anouk hoche la tête de déception :

 - C'est un chef guerrier qui devait surgir de la lignée de David, siffle-t-il avec mépris. Tu n'es donc pas le Messie.

  Joshua n'aura donc même pas le soutien des Zélotes. Cependant, bien que les plus noires menaces s'accumulent sur sa tête, il ne modifie en rien son comportement. Il fréquente toujours les païens, les hérétiques, les prostituées, les abandonnés de la société : lépreux, malades, miséreux... Il veut vivre dans le peuple, à la manière du peuple, entrant chez qui l'invite.

 Mais il devient suspect, voire dangereux d'être vu en sa compagnie. De plus, il déçoit. Beaucoup d'oppressés n'attendaient qu'une seule chose : prendre les armes pour une nouvelle guerre sainte.

  Ainsi, peu à peu, un à un, les regards se détournent de lui, les bouches le renient. Et bien qu'il continue, inlassablement, à prêcher l'amour du prochain, d'insinuations en accusations, Joshua se retrouve devant les juges du Sanhédrin.

 Au nom de la vérité, il réfute point par point et plaide et explique ; mais il n'est pas compris et ses arguments sont utilisés contre lui. Alors il renonce ; ses lèvres se scellent sur une profonde tristesse.

  Entre deux confrontations, il va chercher un peu de paix sur les hauteurs de la ville. Il sait que l'on peut venir l'y arrêter à tout moment mais il ne se cache pas.
 En caressant le tronc noueux d'un olivier centenaire, il se dit qu'il peut encore tout arrêter ; il n'a qu'un mot à dire.

 - Me renier maintenant, réagit-il, reviendrait à avouer que tout ce que j'ai dit et prêché n'étaient que mensonges. Pour sauver ma vie, j'abandonnerais tous ces malheureux en qui j'ai semé un peu de foi et d'espoir ?

« Ouvre les yeux ! lui glisse son subconscient. Les hommes t'ont renié. Ce que tu as semé ? Un tourbillon de haine l'emporte déjà ! À quoi bon une mort infâme... et inutile ? »

 Joshua marche nerveusement, s'assoit sur une pierre à l'ombre des arbres. Son âme torturée lui demande si ce n'est pas finalement la vanité, ou l'orgueil, qui le poussent.

L'instant d'après, elle lui envoie l'image de la détresse de Myriam, de la honte de sa mère quand il sera condamné, puis de tous ces gens qui sombreraient s'il se renie, aux sourires de ceux qui le haïssent.

 Une goutte tombe sur sa main. Intrigué, il regarde. C'est du sang, et c'est une larme.

  Un soir, brutalement saisi, il apprend qu'il est condamné à la crucifixion. Dès le lendemain, il entame son supplice avec l'épreuve et l'humiliation de trainer à travers les rues la poutre sur laquelle il doit être cloué vivant.

 Ponce-Pilate, qui se demandait comment se débarrasser du dangereux meneur sans déclencher un soulèvement, est si soulagé de voir les Juifs demander eux-mêmes sa condamnation, qu'il fait ajouter un écriteau au gibet le désignant comme leur roi. Se prenant au jeu, ses soldats lui appliquent sur la tête une couronne d'épines et sur le dos un manteau écarlate.

 Des femmes pieuses lui tendent le breuvage des suppliciés, Joshua le refuse. Sa mère a suivi son calvaire jusqu'au lieu-dit du Crâne qui domine Jérusalem, mais incapable d'assister à la mise à mort de son enfant, elle s'effondre dans un recoin pour implorer la grâce divine.

  Joshua parvient enfin à cette hauteur dénudée où les ossements humains témoignent des atrocités perpétrées ici depuis des siècles. On cloue ses poignets et ses pieds sur les madriers de chêne. Le sang gicle, il suffoque ; la douleur est indicible. Lorsque le gibet est dressé vers le ciel, ses chairs tendent à se déchirer sous le poids de son corps pourtant léger.

 En poussant sur ses pieds pour lutter contre l'asphyxie, Joshua contemple la ville, cherchant fiévreusement le visage de Myriam.

 - Si tu es le messie, sauve-toi !   lui crie-t-on.

 Avec un frisson, il reconnait cette voix !

 - C'est donc là le roi des juifs !?

 Mais voici que le ciel s’obscurcit. Joshua y perçoit la tristesse de son Père. Surmontant sa propre douleur, il Le console :

  « Père, pardonne-leur. Leur conscience n'est pas éveillée ; ils ne réalisent pas le mal qu’ils font. »

  Le soleil disparait en plein après-midi... La foule s'approche, murmure, s'inquiète. Cet homme est si différent : il ne crie pas, ne maudit pas.

 Un soldat romain s'interroge également. À la faveur de l'ombre, il lui jette un javelot pour abréger son calvaire. Joshua souffrait déjà tant qu’il ne ressent qu’une secousse. Tandis que sa vue se voile, il aimerait accrocher un dernier regard fraternel. Mais ses plus proches amis sont restés terrés chez eux ; de crainte d'être arrêtés, mais surtout mortifiés d'humiliation, de déception de voir celui qui devait s'asseoir sur le trône de Jérusalem condamné à l'infâme châtiment de la crucifixion. Dans leur naïve conception, ils le voyaient, lui, en roi, et eux en tétrarques. Quant aux curieux venus voir le "Messie", la plupart sont également déçus : « Il ne réalise aucun prodige... »

 C'est donc en vain que le supplicié guette la pitié dans leur regard, hélas habitué aux mises-à-mort.

  « J’ai échoué,  songe Joshua au comble du désespoir.

 Dans un sursaut de douleur, ses yeux se lèvent vers le ciel sombre. Se voyant au milieu des ténèbres, une phrase tombe de ses lèvres :

  « Adoni, Adoni, pourquoi m’as-Tu abandonné ? »

 Ces paroles à peine prononcées, la vie se retire enfin de son corps.



  Ses yeux sont fermés. Pourtant il voit sa tête retomber doucement. Pourtant il peut observer le ciel s'éclaircir et le soleil revenir sur cette colline où vient de s'achever sa vie. Son cœur s'est arrêté, et cependant il le sent labouré de remords.

 - Pourquoi te mettre ainsi en peine ?

 - Père ? Père, je te retrouve ! Comme j'ai dû te décevoir... Je n'ai pas su porter ton message. Rien n'a changé.

 - Tu reviens de la Terre. Y as-tu vu une graine donner un fruit sitôt semée ?

 - C'est vrai, mais lors de mon supplice, j'ai vu le Mal rire.

 - Longtemps encore il rira, pensant avoir gagné.

 Joshua hoche la tête, mais la maintient baissée.

 - Père, j'ai été abusé par le Malin.
 Sur la croix, je souffrais tant... J'ai cru... que... Tu m'avais oublié.

 - Pour te délivrer Je n’attendais qu’une chose : que tu montres à tous que tu n’étais ni un surhomme, ni un illuminé, mais un homme ; sensible à la souffrance, à l'amour, à l'espoir. Et au désespoir. Sans l'ultime doute que tu as exprimé, ton sacrifice aurait été vain.

 - Vraiment ? Alors je suis heureux.

 - Tu vas retourner parmi les hommes quelques temps.

 À cette seule idée, le cœur de Joshua se serre violemment.

 - Seul ton corps de gloire leur apparaîtra. Ton message, la Bonne Nouvelle – comme quoi l'esprit ne meurt jamais – trouvera alors toute sa force, et marquera les esprits jusqu'à la fin des temps. Cela éveillera ceux qui s'égarent dans le mal, et portera l’espoir à ceux qui peinent sur le chemin.

  Joshua redescend donc sur Terre. Son énergie est telle que son corps spirituel se matérialise aux yeux de tous. Il peut même parler devant une foule. Une foule qui ne doute plus et tombe à genoux.

 Un peu partout il fait des apparitions, notamment pour affermir la foi de ses amis, consoler sa mère, sa sœur et Myriam qui le pleuraient.

 Enfin il regagne le Ciel.

  Cette terrible expérience a profondément changé Joshua.
 Il a connu la morsure de l’envie, de l'injustice, des besoins de la chair ; mesuré le pouvoir de l’argent, de la position sociale ; ressenti le besoin d'aimer, d'être aimé, protégé ; éprouvé la faim, la soif, la peur.

 Aussi, depuis que Dieu lui a confié le poste qu'occupait Sathan, Joshua se garde de juger les êtres revenant de la Terre. Avec ménagement et amour il accompagne leur âme tandis qu'elle s'élève, telle une bulle, à travers les plans de l'Astral, aussi haut que la qualité de leur vibration le permet; là où ils se sentent bien, en harmonie avec ceux qu'ils aiment.

 Même les animaux s'invitent à cet accueil et aux retrouvailles.