Depuis son renvoi, Amélie ne quitte plus le logis. Entre deux sommeils -tantôt lourds, tantôt agités-, elle marche nerveusement d'un coin à l'autre de la pièce pour s'étourdir ; elle voudrait ne plus penser à rien.
Et surtout pas à l'avenir, qui lui fait penser à ce vide, là sous sa fenêtre. Et qui l'attire...
- Pourquoi t'acharnes-tu sur moi ? lance-t-elle au Ciel.
Un faible bruit la fait se retourner.
- Lutin ?
- Bonjour Amélie.
La jeune fille ne répond pas ; puis éclate.
- C'est toi ! C'est toi, n'est-ce pas, qui a fait tomber l'armoire.
Le petit homme baisse les yeux.
- Maître Maillard voulait...
- Il voulait ! Et maintenant il m'a jetée à la rue, comme une malpropre ! Que vais-je devenir ? s'emporte-t-elle.
« Maître Maillard est respecté, et dans une petite ville comme la nôtre, tout se sait. Depuis qu'il m'a mise à la porte en me traitant de sorcière, tout le monde me regarde avec méfiance, et même avec crainte !
« Et qu'est-ce que je peux dire ? Qu'en fait c'est un elfe — transformé en lutin invisible ! — qui a poussé l'armoire ??
« Comment retrouver un travail à présent ? Hein ?
« Vas-t-en... achève-t-elle d'une voix brisée.
Le lutin laisse la jeune fille évacuer en longs sanglots une colère impuissante.
- Amélie, je dois repartir.
- Déjà ? Tu viens à peine d'arriver, prends...
- Je vais redevenir un elfe.
- Un elfe ?! Comment ça ?
« Écoute, si c'est encore une de tes histoires...
- On va me croire mort.
- Mort...?
- Mais, s'empresse d'ajouter le lutin devant l'air horrifié d'Amélie, je ne le serai pas !
- ?!
- Mon temps ici prend fin. Je vais redevenir elfe, et donc abandonner mon corps de petit homme.
- Tu vas... mourir ??
- Je vais juste disparaitre à tes yeux... Repasser de l'autre côté, rejoindre le monde d'où tu viens toi aussi, et où un jour tu retourneras.
« Rappelle-toi toujours, tu n'es que provisoirement ton corps.
Amélie lève sur lui un regard perdu. Elle songe à une nouvelle facétie du lutin, mais...
« Il a une drôle de voix... Et il semble si fatigué... »
Bien que ce départ annoncé assomme la jeune fille, sa terrible situation se rappelle à elle : elle sera bientôt à la rue !
- Lutin, j'ai peur... j'ai l'impression d'être emportée par un courant violent qui me jette d'une rocher à l'autre, d'une rive à l'autre.
« Je redoute le prochain coup... Je me sens si fragile.
- Les épreuves ne t'écraseront pas ; au contraire, elles te renforceront. Débarrasse-toi de tes peurs. Fais-toi légère ; les heurts font plus mal quand on est lourd, chargé.
Le lutin s'est tu, visiblement épuisé d'avoir tant parlé. Il est descendu de la cheminée mais doit s'asseoir sur une chaise.
Amélie, qui ne peut tenir en place, arpente la pièce.
- Sois patiente, lui dit gentiment le lutin, tout passe. Le temps est l'allié de celui qui souffre.
- Oh lutin, je ne veux pas que tu partes !...
- Si tu es dans la peine, pense à moi, je ne serai jamais loin.
« Mais sois alors attentive aux intuitions que je t'enverrai, achève-t-il d'une voix éteinte qui affole la jeune fille.
- Ne m'abandonne pas ! Je te promets de...
Sa phrase reste en suspend car elle constate que le lutin n'est plus là. Paniquée, elle se tourne de tous côtés.
« Il est parti ! s'étrangle-t-elle.