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oudain, au détour d'une rue, notre elfe s'arrête : le soleil s'est mis à grossir ! Il absorbe les arbres, les maisons, les gens.

 Tout s'éclipse, même les bruits de la rue. Pourtant, curieusement, cette lumière, qui a avalé le soleil lui-même, ne blesse pas les yeux. Au contraire, elle est douce...
 Au milieu d’un silence irréel, alors que le temps semble s'arrêter, l’étonnement de l'elfe devient stupéfaction : cette prodigieuse clarté émane d'un être ! Un être immense dont il ne distingue que les contours, mais qui rayonne de bienveillance.

  - Un ange ! s’exclame l’elfe, qui pourtant n’en a jamais vu.




  La puissance qui émane de l’apparition est colossale, mais c'est d'une voix très douce qu'elle s'adresse à lui :

 - Pour sortir quelqu’un du brasier, il faut y entrer soi-même. Y es-tu prêt ?

 Le petit elfe est trop suffoqué pour répondre quoi que ce soi. D'ailleurs il ne comprend pas la question.

 - Cette jeune fille, tu veux l'aider, n'est-ce pas ?

 - Oui. Euh oui...

 - Bien. Tu ne pourras pas lui rendre sa jambe car ce handicap fait partie de son destin. Mais tu pourras l’aider.

 La voix résonne dans la tête du pauvre elfe comme s'il était dans une cathédrale. Il bafouille :

 - Son... destin ?...

 - La ligne de vie qu'elle s'est tracée. Te sens-tu vraiment prêt à l’aider ?

 Ainsi posée, la question laisse craindre que l’affaire n'est pas sans risque.

 - Je... pense. Enfin, je veux dire... oui, fait l’elfe avec une grimace.

 - Bien ! répète l’apparition, manifestement satisfaite. Tu vas avoir l’occasion de te mêler aux humains. Demain, de bonne heure, rends-toi en ville.
 « Ton destin t’y attend à toi aussi.

 Cette dernière remarque ranime l'inquiétude chez l'elfe. Mais alors qu'il bafouille une question, la lumière s’estompe.




  Le charivari de la rue lui parvient à nouveau. Les passants semblent émerger d’un brouillard. Il les observe, recherchant la stupéfaction sur leur visage, mais manifestement personne n’a remarqué quoi que ce soit. Le soleil a réapparu, lui aussi. Il semble minuscule, mais ses rayons sont insoutenables.

« Qu'est-ce que c'était ? Je rêve en plein jour maintenant ? en pleine rue ? » s'interroge l’elfe passablement troublé en filant vers son bois pour se remettre de ses émotions.




  Le lendemain matin, au réveil, notre elfe se sent engoncé et éprouve l'étonnante sensation de peser sur le sol. En baissant les yeux, il constate avec stupeur qu’il a des jambes, un corps ; un corps habillé avec soin. La mémoire vient au secours de son ahurissement : sa rencontre avec l’ange, puis ses paroles : « Vas te mêler aux humains demain de bonne heure. »

 - Hou là-là. Je n'ai donc pas rêvé !

 « Mais au fond, dit-il en se regardant mieux, n'ai-je pas toujours voulu être un humain ? Me voici en petit garçon...

 Et ma foi, je suis bien beau ! »

 C'est donc fier et joyeux que l’elfe, ravi de faire trotter ses petites jambes, s’élance vers la ville.



  Sur le chemin, à peine sorti du bois des Quatre Routes, il réalise qu’il va croiser un homme. Sa stature est impressionnante.

 « Me verra-t-il ? se demande l’elfe. Je l’espère, comme cela il pourra admirer mes beaux habits.

 Au moment de le dépasser, l’homme s’arrête et le regarde étonné.

 « Voilà, il me voit. Et il remarque mes beaux habits, songe l’elfe en continuant sa route l'air de rien.

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 - Holà mon gars, l’interpelle l’homme d’une voix tonitruante qui le fait sursauter. Où vas-tu ainsi accoutré ? À notre représentation ? Tu sais, ce n’est que demain.
 - …
 - Quoi, tu ne parles pas ? T’as perdu ta langue ?

  L’elfe fait non de la tête.

 - Oh, oh ! Tu as des parents ?

  L’elfe regarde ses pieds. Si petits, chaussés de bottines pointues.

 « C’est pas croyable… ne cesse de répéter l’homme en l’observant. Tu me fais penser… »
 - En fait, tu viens d’où ? s'exclame-t-il soudain en regardant le bois d’où l’étrange nain est sorti de bon matin.

 Devant son silence, le sourire de l’homme s'efface. Sans s'embarrasser d'autres considérations, il saisit sa trouvaille et l’emporte.



  C’est ainsi que l’« elfe-petit-garçon » est incorporé à la troupe du cirque Pénélope. Il partage désormais la roulotte de "l’homme-lion", un géant roux qui, lors des exhibitions, affublé d’une crinière, feint de tordre des barres de fer avec ses dents en poussant de redoutables rugissements. Pour l'heure, il doit veiller à ce que le « véritable Lutin des forêts nordiques » ne se sauve pas. Certes, ledit lutin ne figurera pas dans la prochaine représentation, car il faut d'abord lui constituer un numéro, le « former ».

  En attendant, pour le spectacle prévu à Bloch le lendemain, place Sainte Maxime, le cirque Pénélope s’installe dans les rues adjacentes. Autant dire qu’il occupe la ville.

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